Emmy de Martelaere, qui êtes-vous ?
Portrait par Isabelle Ewig, historienne d'art
Paris, mai 2000
  Jean Pierre Raynaud
Portrait : Emmy de Martelaere 1991
Carrelage et reproduction photographique 77 x 61.5 x 1 cm

« En Belgique, on aime la peinture », nous dit Emmy de Martelaere. Ceci explique peut-être cela. Originaire de Bruxelles, elle suit des études d'histoire de l'art, puis se forme au contact de critiques, d'artistes ou encore de marchands ; de là naît une passion. Mais les véritables débuts d'Emmy de Martelaere en tant qu'agent et éditeur d'art datent de 1973 : c'est l'année de sa rencontre avec Jean Pierre Raynaud lors de l'exposition «Funéraire» à la galerie Alexandre Iolas, à Paris.

Raynaud est le premier artiste qu'elle accompagne dans son travail. Ceci nécessite confiance, dialogue et une profonde empathie pour l'oeuvre. Il en résulte, en 1975, cet admirable ouvrage intitulé “Jean Pierre Raynaud enquête emmy de martelaere“. Constitué d'images d'archives, de photographies d'oeuvres de l'artiste, mais aussi de lieux choisis par ce dernier ou bien de documents historiques, il pose d'emblée le sens inné qu'a Emmy de la mise en page. Prudente dans le maniement des mots et de l'écriture, elle préférera dire les choses par les images : « J'ai suivi J. P. Raynaud avec un appareil photo comme j'aurais pu le faire avec un magnétophone, afin de capter ses joies et ses fantasmes, essayant au moyen d'images de les transmettre au lecteur […].»

Cet ouvrage est publié aux éditions E.M.A. (Editions Modernes d'Art) qui prendront plus tard le nom d'Editions Emmy de Martelaere : livres, catalogues et éditions d'artistes y voient régulièrement le jour.
Suite à l'exposition «Funéraire», Herbert Zangs se présente à Raynaud, puis fait la connaissance d'Emmy qui s'engage en sa faveur. Elle lui organise des expositions personnelles, édite des catalogues et des multiples, et le conduit sur les cimaises du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (Boîtes, 1976), de la Fondation Cartier (Azur, 1993) ou du Musée National d'Art Moderne (L'Empreinte, 1997). Car c'est aussi par le prêt d'oeuvres qu'elle diffuse le travail des artistes qu'elle représente, des prêts dont elle est l'initiatrice. Zangs illustre de façon exemplaire la générosité d'Emmy de Martelaere, la permanence de son jugement, sa persévérance et sa rigueur. C'est ainsi qu'elle a entamé voici trois ans (1997) le catalogue raisonné de l'oeuvre de Zangs, entreprise prodigieuse et combien difficile : mais le premier volume est prêt et sa sortie proche.

Les artistes qui bénéficient du même engagement sont Osvaldo Romberg, rencontré en 1976, Denmark, en 1978, et, plus récemment, Francisco Ruiz de Infante, Hugues Decointet et Wouters. Soit un Américain, deux Belges, un Espagnol et un Français, ce qui dit bien l'esprit d'ouverture d'Emmy.
Les artistes le lui rendent bien avec par exemple Francisco Ruiz de Infante qui bénéficie aujourd'hui d'une reconnaissance internationale. Pour ce dernier, la collaboration avec Emmy remonte à 1994 et a été couronnée cette année par la publication d'un important ouvrage, le premier en langue française, intitulé Leçons de survie. Francisco Ruiz de Infante. Un parcours dans le projet audiovisuel Les Loups. (Editions Emmy de Martelaere, Paris.)

Enfin, des événements ponctuels ont créé des relations de travail avec d'autres artistes tels que Jean-Michel Sanejouand, Deidi von Schaewen, Steve Kahn, Patrick Chauveau, Virginie Mounicot, Bernadette Genet, Alain Le Borgne et Gotscho.

Agent d'art sans «boutique», Emmy de Martelaere s'associe pour l'organisation de ses expositions à différentes galeries (p.ex. Yvon Lambert, Rodolph Stadler, Gilles Dusein Urbi et Orbi, Loic Malle Montaigne), mais aussi à des musées comme le Tel Aviv Museum, le Museum Moderner Kunst de Vienne et la Neue Galerie, Sammlung Ludwig à Aix-la-Chapelle pour la rétrospective Romberg dont elle a publié le catalogue.

La conscience néanmoins que l'on peut - et qu'il faut - exister en dehors des lieux établis la conduit à créer MANIFESTATION, soit une série de cinq expositions réalisées entre 1993 et 1998, « pour le plaisir de l'art » et, en ces temps moroses, pour « prouver qu'il est possible avec peu de moyens de faire des choses intéressantes et différentes ». Le principe consiste à investir un lieu, soigneusement choisi par Emmy pour correspondre à l'esprit d'un artiste qui réalise à cette occasion une pièce. Elle se charge alors d'obtenir le prêt de l'espace et de rassembler les moyens techniques nécessaires, cela dans des délais très brefs et avec un budget modeste.

La MANIFESTATION dure cinq jours. A chaque fois, c'est un succès. Minimaliste avec Virginie Mounicot (MANIFESTATION 1), culpabilisante avec Franciso Ruiz de Infante (M2), intime avec Bernadette Genée et Alain Le Borgne (M3), époustouflante avec Gotscho (M4), culturelle avec Hugues Decointet (M5), chaque installation transcende le lieu, qu'il s'agisse, respectivement, d'anciens ateliers de métaux, de la Ménagerie de Verre, d'un appartement privé, de l'Opéra Comique ou d'un sous-sol.

A ces lieux constitués, qui, après l'intervention de l'artiste, retrouvent leur état antérieur, répondent aujourd'hui des Non Lieu, selon l'intitulé générique d'une nouvelle série d'expositions lancée ce printemps. Espaces à la fois en perte et en attente d'identité, espaces temporairement sans existence : c'est un immeuble à rénover que les propriétaires acceptent de mettre à la disposition d'Emmy de Martelaere avant le début des travaux. Sous-jacent à ce projet, on retrouve une dimension politique, au sens large du terme, consistant à rendre positif ce qui, selon nos critères socio-économiques, est négatif : l'inutile, le non-productif, le déchu. Cette fois-ci, le nombre d'artistes et d'oeuvres n'est plus arrêté par avance ; il revient à chacun de s'adapter à l'espace, de lui donner une réponse artistique.

Parallèlement à ce travail avec les artistes s'opère un travail de fond avec le public et les collectionneurs. Il s'agit d'attirer leur attention sur l'art contemporain, et, au-delà, de provoquer un désir, une passion. Les « Portes Ouvertes », organisées chaque année depuis 1994, en sont le sommet de l'iceberg, Emmy mettant ces jours-là à la disposition du grand public toute sa documentation (livres et catalogues français et étrangers, etc), mais surtout son temps, pour expliquer, écouter, discuter et ainsi instaurer un véritable dialogue. Ce dialogue s'est doté récemment d'un nouvel outil, le site internet ArtGates. Au-delà de sa fonction informative, il a été conçu comme un lieu très logiquement interactif avec des projets de débats on line, mais aussi comme un lieu d'expérimentation artistique, sur lequel aussi bien les artistes représentés par Emmy que des artistes invités réalisent des oeuvres.

Ce (trop) bref exposé des activités d'Emmy de Martelaere ressemble à une histoire de lieux ; mais c'est aussi l'histoire d'une pensée en mouvement, libre et indépendante, qui, à sa manière, interroge le monde de l'art comme la création contemporaine, que nulles barrières, ni techniques ni conceptuelles, ne viennent arrêter.

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